La chute de la présidente Dilma Rousseff laisse le Brésil sonné En savoir plus sur

Claire Gatinois do site Le Monde 

 

Michel Temer se plaignait de n’être qu’un « vice-président décoratif », il est maintenant chef de l’Etat par intérim. Jeudi 12 mai au petit matin, les sénateurs brésiliens ont largement voté – à 55 voix pour, 22 contre –, l’ouverture d’une procédure de destitution contre la présidente, Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT, gauche).

Elle est suspendue pendant six mois maximum, afin d’être jugée par les sénateurs. Le successeur de Luiz Inacio Lula da Silva, président de 2003 à 2010, est accusé de « pédalage budgétaire », une acrobatie comptable qui aurait enjolivé la réalité des finances publiques pour assurer sa réélection en 2014.

« Une farce juridique », selon la présidente. Une accusation montée de toutes pièces par ses ennemis pour s’emparer du pouvoir sans passer par les urnes, a-t-elle dénoncé, avant de quitter le palais présidentiel du Planalto, jeudi matin, blessée par la « brutalité » de ce qu’elle considère comme une injustice, et déterminée à se battre jusqu’au bout pour dénoncer un « impeachment » qu’elle qualifie de « coup d’Etat » : « J’ai peut-être commis des erreurs, mais je n’ai pas commis de crime. » « La lutte pour la démocratie n’a pas de fin », a-t-elle enfin martelé, à l’adresse des fidèles venus la soutenir.

La foule était pourtant peu nombreuse à scander « Dilma guerreira » (« Dilma la guerrière »). « On ne l’aurait jamais traitée comme ça s’il s’était agi d’un homme », se désole la députée Benedita da Silva (PT), dénonçant les stéréotypes véhiculés à l’encontre de la première femme présidente du pays, régulièrement accusée d’incompétence, et stigmatisée pour ses colères homériques. Quelques proches étaient aux côtés de « Dilma », dont Lula, qui l’a embrassée sans un mot avant de s’enfoncer dans une voiture noire, glissant simplement : « Je suis fatigué. »

Vingt-trois hommes, tous Blancs

Après treize ans d’un gouvernement dirigé par le PT, qui a contribué à sortir de la pauvreté des dizaines de millions de Brésiliens, une époque semble s’achever. « La sortie de Dilma Rousseff est définitive », prédit le politologue Marco Antonio Carvalho Teixeira, de la Fondation Getulio Vargas, à Sao Paulo. Sans attendre le verdict final des sénateurs, peu croient à son éventuel retour.

A peine Dilma Rousseff s’était-elle éclipsée que la relève était en place. En fin d’après-midi, Michel Temer, 75 ans, le nouveau chef d’Etat, président du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), prenait possession du palais présidentiel à Brasilia. Entouré d’une nouvelle équipe ministérielle – 23 hommes, tous Blancs –, Michel Temer s’est engagé à redresser un pays au bord de l’abîme économique, politique, social et moral. « Un agenda difficile », a-t-il reconnu.

La voix cassée, l’ancien coéquipier de la présidente de gauche a donné le ton. A trois mois des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, quand le monde a les yeux rivés sur le pays, son gouvernement sera celui d’une union nationale, composé d’anciens proches de Luiz Inacio Lula da Silva (PT), tel Henrique Meirelles à l’économie, mais aussi des figures de l’opposition du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), comme José Serra, ancien ministre du président Fernando Henrique Cardoso, chargé des relations extérieures.

« Un grave recul civilisationnel »

En dépit de cet habillage consensuel mêlant influences de gauche et esprit libéral, le programme est orthodoxe, visant à faire du Brésil un pays où il fait bon entreprendre. Pour son premier discours, l’austère Michel Temer a annoncé des coupes budgétaires à venir pour restaurer la crédibilité du pays et « tranquilliser les marchés ». « L’Etat ne peut pas tout », a-t-il ajouté.

Cet amateur de poésie promet de maintenir l’essentiel des politiques sociales du PT, comme la Bolsa Familia (bourse famille), subvention distribuée aux plus miséreux, mais les Brésiliens savent que leur nouveau chef d’Etat imposera un nouveau style. « Les patrons ont du sang dans les yeux », commente, dépité, un proche du PT.

« Le coup d’Etat en cours n’est pas l’éloignement de Dilma Rousseff, écrit le politologue Cesar Benjamin, dans la revue Piaui. Mais la formation d’un gouvernement dont le programme aurait été difficilement accepté par le peuple brésilien par la voie des urnes. (…) Nous sommes à la veille d’un grave recul social et civilisationnel, rendu possible par le désastre du PT. » Evoquant des conséquences à plus long terme, M. Benjamin regrette la fin, ou pour le moins l’interruption du rêve de la nation Brésil, « coincée dans notre labyrinthe de médiocrité, incapable de réaliser un effort endogène avec un minimum de cohérence », condamnant le pays à une forme de stagnation.

Après des semaines de lutte opposant les défenseurs de l’« impeachment », écœurés par la corruption des élites mise au jour par l’enquête « Lava Jato », aux défenseurs d’un gouvernement élu, criant au « coup d’Etat », la rue semble sonnée.

Des dirigeants respectés mais usés

« Pour les anti-impeachment, ce qui arrive est un échec. Une partie des militants, qui ne soutenaient que mollement Dilma Rousseff, accusée d’avoir trahi la gauche, ne veulent plus se battre », analyse la sociologue Esther Solano. « Dans l’autre camp, poursuit-elle, le mouvement avait un discours négatif, contre la corruption, contre le PT, défendant l’impeachment sans véritable projet. Les voici confrontés à la concrétisation de l’impeachment, à la réalité politique, au “jour d’après”. »

Cet avenir angoisse. Michel Temer, pur produit de la politique, inconnu de la plupart, ne suscite guère l’enthousiasme. L’homme, trois fois président de la Chambre des députés, défendant un programme conservateur et faisant de la devise du drapeau brésilien empruntée à Auguste Comte (« ordre et progrès ») son slogan, replonge dans le passé. Son équipe est composée de dirigeants politiques respectés, mais souvent usés.

Pour assurer la stabilité politique, on le suspecte aussi d’être tenté de freiner l’enquête « Lava Jato » qui a mis au jour un scandale de corruption tentaculaire, dans lequel il est cité, ainsi qu’une partie de ses ministres.

Comme un avertissement, mercredi, le Tribunal suprême a autorisé l’ouverture d’une enquête pour corruption à l’encontre du sénateur Aécio Neves (PSDB), rival malheureux de Dilma Rousseff à la présidentielle de 2014. Le même jour, le juge Sergio Moro, chargé des investigations, appelait le Brésil à rester « intolérant envers la corruption systémique ». « “Lava Jato” est devenue une référence et doit être protégée contre toutes les tentatives de la fragiliser », a répondu Michel Temer, la main sur le cœur.